Observation et mesure

 

Dans notre pédagogie, les activités de mathématiques sont, la plupart du temps, issues de vraies activités de projet et d’observation.

L’objectif essentiel de cet enseignement est d’apprendre à penser mathématiquement, ce qui est bien sûr un vaste projet que nous allons préciser.

Or penser mathématiquement ne peut se faire que lorsque les enfants sont devant des situations qui y invitent, qui posent problème.

L’observation donne l’occasion de comparer et de mesurer.

Observer, c’est plus que percevoir : c’est aussi établir des relations entre des aspects gradués d’un même objet, rechercher des rapports entre des intensités différentes, c’est constater les successions, des relations spatiales et temporelles ; c’est faire des comparaisons, noter les différences et les ressemblances, en bloc ou en détail (analyse), c’est établir un pont entre le monde et la pensée.

Pour rendre cette observation plus précise, il importe de comparer, de mesurer, de recourir à des étalons, des unités. La mesure et le calcul se rattachent donc tout naturellement à l’observation.

L’activité d’observation se fait sur le terrain (petits animaux, potager, visite, objets ou plantes amenés comme surprises, …) ; elle rassemble les enfants et leur permet, par une approche concrète, par des manipulations, par des expérimentations, par des comparaisons de découvrir l’objet, de l’identifier, de le situer, de le classer.

   

Le dessin, le modelage en fixent les particularités, les ressemblances, le mouvement, le fonctionnement.

Dès les classes maternelles, nous tirons parti de la fonction de comparaison, en favorisant les rapprochements entre les objets nouveaux avec les objets familiers et connus, poussant ainsi l’enfant à constater l’identité, la ressemblance ou la différence et le faire d’une manière de plus en plus précise au fil des ans.

Parmi les étapes naturelles qui font la transition entre la comparaison grossière et la mesure précise, notons :

  • la comparaison de qualités non dénombrables ( couleur, goût, odeur, …) et celles susceptibles de s’exprimer avec des nombres (coins, points, cotés, …)
  • l’utilisation de termes globaux de quantité (beaucoup, peu, plus, moins, trop, assez, autant, …)
  • le recours aux unités naturelles pour les quantités discontinues puis continues
  • les comparaisons portant sur le poids, le temps, le volume, …

   

   

  • l’analyse des solides en même temps ou avant les surfaces ou les longueurs
  • le passage graduel des unités naturelles aux unités conventionnelles

 

À la comparaison se lient alors étroitement des activités sur les quantités continues et discontinues qui donnent lieu à des opérations avec les nombres.

La mesure est indissociable de l’activité d’observation. L’enfant mesure, pèse, compare. Concrètement, il utilise spontanément des mesures naturelles (son pied, sa main, son empan, des récipients familiers, …).
Vers le milieu de la deuxième année s’exprime le souci de passer à une unité "plus juste" dans le groupe : c’est le passage à la mesure médiane ou à la mesure étalon de la classe, suivi de nombreux exercices de fractionnement indispensables pour établir des rapports entre les choses mesurées.

   

Ensuite, riches de toutes leurs expériences, les enfants abordent sans difficulté les mesures conventionnelles, qu’ils organisent progressivement dans toutes leurs expérimentations ultérieures dont ils tirent des synthèses de plus en plus complètes.

Chez les plus grands, là aussi l’activité mathématique découle le plus souvent des mesures que l’on est amené à relever, des calculs que nécessitent les expériences, des graphiques qui illustrent les faits étudiés, de la formulation des lois qui régissent les phénomènes observés.

Ce n’est que dans un deuxième temps que les concepts abstraits sont progressivement amenés. L’approche inductive est privilégiée La résolution de problèmes et d’exercices se fait toujours à partir d’une réelle réflexion et d’une compréhension en profondeur, la formule n’arrivant, éventuellement, qu’en bout de course

C’est lors de ses activités expérimentales et concrètes que l’enfant a l’occasion d’élaborer à son rythme, en toute différenciation, les grands supports du raisonnement logique, des notions mères de temps, espace, construction du nombre, construction du système de mesure universel,…

O. Decroly pensait que toute démarche pédagogique devait -et pouvait- commencer par l'observation du concret dans l'environnement immédiat de l'enfant. Les passages à des niveaux successifs d'abstraction se faisant ensuite, progressivement, par un cheminement intellectuel auquel il faut laisser le temps de mûrir.

Les exercices d’application nécessaires pour l’acquisition de la routine des opérations sont donc d’abord justifiés par les problèmes réels dont les données sont prises dans l’observation. Ces entraînements et fixations bien ancrées des techniques permettent aux enfants plus en difficulté, d’asseoir leur raisonnement logique.

 

Construire le raisonnement mathématique

Notre métier d’enseignant consiste à présenter des situations mathématiques, issues de la vie et qui représentent pour chaque enfant un défi mesuré, pas trop dur car ce serait décourageant, pas trop facile car il n’y apprendra pas grand-chose et ne sera pas stimulé.

Ce qui est visé c’est l’activité de l’enfant : il doit apprendre la pensée autonome c'est-à-dire prendre des initiatives, agir et réfléchir avec une intention personnelle

Si la situation vraie est un bon stimulant à la motivation, un autre facteur amené par l’enseignant est fondamental : le regard porté sur les choses.. Beaucoup de phénomènes communs, qu’ils soient mathématiques ou non paraissent naturels ou même banals jusqu’au moment où, supposant qu’ils ne vont pas de soi, on les met en cause par des questions appropriées.

Dans les situations-problèmes, la richesse et la structuration du contexte provoquent des mécanismes fondamentaux pour le développement du raisonnement logique, comme la mobilité de la pensée, la pluralité des méthodes et celle des solutions. Ceci va bien évidemment à l’encontre de cette malheureuse idée reçue qui veut que faire des mathématiques, c’est trouver l’unique bonne solution par l’unique bonne méthode.

Trois registres d’activités sont à distinguer dans ce contexte :

  1. L’exploration : laisser libre cours à la pensée, essayer des exemples, suivre des analogies, varier les figures et les paramètres, passer aux extrêmes, particulariser, généraliser, essayer de comprendre ce qui va ou ne va pas
  2. L’extraction : concentrer la pensée sur un phénomène particulier, le cerner, le tirer du contexte, le traduire en terme de concepts donnant prise au raisonnement
  3. L’explication : est la preuve si la conjecture s’avère vraie, du contre-exemple si elle s’avère fausse.. Ici, il est important de passer à la modélisation.

Le compromis entre la fidélité et la commodité du modèle doit être mis au point par va et vient entre la situation réelle et son image mathématique.

Decroly soulignait l'intérêt, voire la nécessité, de renouveler la démarche avec retour au concret; soit si le passage à l'abstraction a été imposé trop tôt à l'enfant, soit quand sa compréhension a franchi le cap d'une abstraction intuitive sans qu’il soit déjà capable d'une explicitation sous forme d'un raisonnement logique.

Une autre façon d’exprimer ce qui fonde la pédagogie decrolyenne est de dire qu'elle privilégie toujours la démarche inductive par rapport à la démarche déductive. On partira de l'analyse d'un ou plusieurs faits pour s'élever progressivement à la formulation d'une idée générale, à l'élaboration d'une typologie, à la définition d'un concept, voire à l'énoncé d'une loi.

Il s'agit d'une démarche opposée à celle qui consiste à partir des définitions, des catégories et des lois, puis à les illustrer par des exemples. Elle conduit les enfants à s'approprier par une démarche personnalisée, les conclusions qui se dégagent de leurs découvertes progressives; et à les formuler à leur manière en un premier temps, avant de confronter leurs propositions à celles des ouvrages de référence.

La didactique des mathématiques peut être prise comme exemple prototypique du principe selon lequel il importe de construire la pensée dans un rapport avec des problèmes posés dans le monde. Ainsi, l'opération 3 + 2 = 5, par exemple, se situe sur deux plans :

  • un plan que l'on pourrait appeler de "pensée pure" où elle relève de l'application de procédures.
  • un plan que certains appelleraient "concret" ou "appliqué" qui lui donne sens et où entrent en jeu la permanence de l'objet et le report de l'existence, dans la construction de ces nouveaux schèmes que sont les permutations et les correspondances.

D'une manière très générale, notre enseignement se doit de coordonner ces deux points de vue, ce qui donne toute son importance à la notion évoquée plus haut de « problèmes en situation »

L’apprentissage des notions mathématiques se fait en spirale. L’intelligence du bébé puis de l’enfant et de l’adolescent se développe en une succession d’étapes que l’on peut appeler sensori-motrice, intuitive, opératoire et rationnelle. Or à travers toutes ces étapes, les objets mathématiques sont vus et revus, enrichis, structurés et restructurés. Aucun d’eux n’est acquis d’emblée. Il est donc nécessaire de réétudier plusieurs fois chaque question pour que chaque enfant à son stade de développement puisse l’élaborer davantage. Ici encore la manipulation et le travail mental individuels sont essentiels. Par exemple, la conservation des volumes ne peut se faire que par des manipulations et est le seuil d’entrée obligé de différentes notions fondamentales des mathématiques.

Ainsi le savoir mathématique passe par crises et des dysfonctionnements suivis de rééquilibrations.

Parmi d’autres, l’exemple des nombres est clair. Les premiers nombres doivent d’abord intégrer leur fonction ordinale et cardinale ; les nombres les plus grands ne peuvent être saisis que par une structure de numération, ils servent à compter, à mesurer ; mais il s’avère bientôt qu’ils ne suffisent pas à tout mesurer : de nouveaux nombres apparaissent (les rationnels positifs) ; mais nouvelle crise, ces nombres ne suffisent pas repérer les points d’une droite d’où l’introduction des rationnels relatifs qui étendent les précédents et les absorbent sans peine mais qui ne suffisent pas encore à mesurer la diagonale d’un carré de côté unitaire : nouvelle crise et l’on peut continuer ainsi…

Tour cela, ce sont des mathématiques mais surtout des conquêtes de chaque enfant, qui étendent son savoir et son pouvoir, sa capacité de comprendre, d’interpréter, d’agir sur les choses et la société.

Le matériel mis à disposition

On peut ici prendre l’image d’un laboratoire de mathématiques où les enfants ont à leur disposition les outils de mesure appropriés à leur niveau de développement (balance à bras, balance Roberval, balance électronique,…); outils construits par les enfants ( rapporteurs) avant d’utiliser ceux commercialisés.

Les enfants construisent leur propre matériel ou utilisent des objets courants.

Notons ainsi :

Mesures

Mesures naturelles

Mesures conventionnelles

Volumes

Le poing, la pincée, les référents qui "ont la place" de la pomme, du potiron, d'un oeuf, de... Le m3, le dm3 xonstruits les différentes unités de volume.

Surfaces

Surface de la main, d'une feuille de papier, d'une gomme...

Le m2, le dm2 construits et toutes les unités de surface.

Longueurs

Le pied, le pas, l'empan, l'envergure, la taille...

Le mètre bâton , la règle de 10 cm (dm), la corde de 10 m (dam) de 100 m (hm), la roue d'arpenteur, la mesure du km, le demi mètre, le tiers de mètre, le quart, le cinquième de m...

Capacités

La tasse, les différents verres, la cuillère...

La bouteille de 1l, de 2l, le seau de 5l, de 10l, le récipient de 100l...

Angles

Le coin droit, la sauterelle, le rapporteur construit en divisant les angles droits...

Le rapporteur

Temps

Calendriers construits, sablier, bougies, pendules petits et plus longs, le pendule de 99 cm qui bat la seconde.... La minute, l'heure et ses divisions, les différents calendriers et les divisions du temps (années, mois, semaine, jour...)