Les piliers de la pédagogie Decroly
- L'école active et les "méthodes actives"
- 1 Petit « flash » historique
L’école active" apparaît à la fin des années 1910. Les sources immédiates étant en Suisse l'Arbeitsschule (l'école du travail) et l'Institut Rousseau. "L'action y soutient la parole". Herbart parle "d'état d'âme qui fait que l'enfant est vraiment actif dans la leçon, qu'il travaille avec plaisir, comme poussé par un stimulant intérêt." Cet état d'âme a pour nom "intérêt ".
Une autre source identifiée est celle de John Dewey (américain, fin des années 1800) qui prône le "learning by doing".
C'est au Congrès de Calais, en 1921, que s’affirme l'appellation d'école active (Ferrière). Une école sera dite "active" lorsque les élèves s'y érigent en acteurs prioritaires et que "la mobilisation de l'activité intellectuelle s'effectue du dedans vers le dehors et non l'inverse."
L'école active deviendra de plus en plus, au cours des années d'entre guerres, le symbole d'une vision moderne et progressiste d’une nouvelle société humaine.
Au départ, il s'agit bien, en effet, d'un combat qui se place sur des valeurs humanistes clairement identifiées, qui cherche une réponse à la question "quel homme pour quelle société". La vision "politique" de l'école est première dans l'école nouvelle: c'est par la modification de l'école que l'on arrivera à modifier la société elle-même.
Par la suite, différentes méthodes ont été associées à cette vision pédagogique.
L'Ecole active est une vision de l'action à entreprendre ; les méthodes actives deviennent un recueil de moyens d'agir. L'Ecole active est une "grande idée", les méthodes actives sont un regroupement d'idées ingénieuses (qui risquent de devenir des trucs, recettes si elles sont dénaturées par rapport à leur idéologie porteuse).
Decroly, en Belgique (mais aussi sur le plan international) est un des représentants les plus marquants de ces pédagogues fondateurs de l'école active et de l'éducation nouvelle.
- 2 Les axes "incontournables" d'une pédagogie Decroly
Outre les axes communs à toutes les écoles actives (la notion-même d'activité, les valeurs humanistes qui sont développées et qui sous-tendent toute une méthodologie et une relation éducative, l'insertion de l'école dans la vie réelle), on retrouve, sur le plan pédagogique, des spécificités decrolyennes. Elles se justifient par le désir qu'a Decroly de proposer une alternative aux maux inhérents à l'école traditionnelle (encore d'actualité!) :
- le mythe de la classe homogène
- la survalorisation du langage écrit abstrait
- l'absence de prise en compte de l'historicité de l'enfant
- l'absence de prise en compte des rythmes individuels de développement
- l'absurdité de la découpe du temps scolaire
- l’inadéquation de la formation des futurs enseignants
Il se défend toutefois de figer une méthode, la veut évolutive, en prise avec le changement social et technologique.
Quelques orientations méthodologiques restent toutefois identifiées comme étant typiquement decrolyennes :
- Le principe de globalisation (démarche bio-psycho-socio-pédagogique...)
- Les centres d'intérêt (ou, au centre: l'intérêt...)
- Le cycle didactique des apprentissages (observation-association-expression)
Le principe de globalisation
Le principe de globalisation ne doit pas être "réduit" à la "méthode globale" d'apprentissage de la lecture. Il s'agit d'une perspective beaucoup plus large qui regroupe quelques idées-clefs :
- l'éducation doit prendre en compte la personne dans sa globalité: le travail mental ne peut être dissocié de l'affectivité. L'éducation ne peut être traitée de manière fragmentaire, l'enfant forme un tout psychique dont les parties sont étroitement liées. Selon lui, on ne peut avoir d'effets durables dans l'action éducative que si l'on s'adresse à l'enfant tout entier. (Prise en compte des apports de la psychologie génétique).
- la globalisation est une démarche intellectuelle complexe développée lors de l'appréhension du réel: "l'activité globalisatrice fait le pont entre l'activité instinctive et l'activité intelligente supérieure." Cette opération mentale prépare le travail d'analyse-synthèse qui lui succédera. La démarche vise à rendre les connaissances de mieux en mieux articulées, intégrées dans des structures hiérarchisées :
- la lecture idéo-visuelle (méthode globale) est une application de ce principe. (Image visuelle générale qui constitue un composé concret, réel et signifiant avant qu'elle ne soit analysée sous forme de détails abstraits et reliés)
- cela implique une méthodologie qui part du complexe vers le simple, du connu vers l'inconnu, du concret vers l'abstrait, du proche vers l'éloigné, de l'actuel au passé.
- coordination des diverses matières abordées selon une globalisation (vision interdisciplinaire).
Les centres d'intérêt
Les quatre centres d'intérêt initialement déterminés par Decroly se sont enrichis au fil des années (notamment insertion de la "reproduction") et se basaient, à 1'origine, sur la croyance qu'il y aurait une identité entre les besoins de l'enfant et ceux que l'humanité a eu à satisfaire durant toute son évolution (accord entre psychogénèse et phylogénèse).
Le but est de créer un lien entre toutes les matières abordées, de respecter la motivation de l’élève et d’intégrer ses connaissances dans des ensembles ordonnés et coordonnés.
Chez les enfants les plus jeunes, les centres d'intérêt sont conçus comme des centres occasionnels fournis par le milieu immédiat, des centres fragmentaires. Ce n’est qu’à partir de 8 ans qu'un centre sera traité par année.
Les quatre besoins à la base des centres d'intérêt vont servir de matière aux chapitres du programme. Celui-ci contiendra un ensemble de notions coordonnées entre elles et envisagées selon six points de vue :
- l'enfant et son organisme
- l'enfant et les animaux
- 1'enfant et les végétaux
- l'enfant et les minéraux
- l'enfant et ses semblables
- l'enfant et l'univers
Les premières activités sont toujours concrètes et sensorielles, les deuxièmes concernent le travail plus abstrait (classement, comparaison) et les troisièmes mobilisent la manifestation de la pensée (expression concrète et abstraite).
Le cycle didactique des apprentissages
Lié à la fonction de globalisation, un cycle didactique structure les apprentissages.
L'observation (et la mesure) qui encourage le travail des sens qui sont eux -mêmes stimulés par l'intérêt : l'enfant est en contact direct avec les choses, les êtres et les événements, avec la vie. Il les regarde et les décrit par rapport à lui, à son école, à sa famille, au milieu où il vit. "L'enseignant montre, fait observer sur le vif, analyser, manipuler, expérimenter, confectionner, collectionner".
Plus qu'une leçon, l'observation est une attitude pédagogique.
A l'observation s'intègre la mesure, c'est-à-dire l'appréciation des objets selon leur forme et leur quantité avec une mise en action du corps propre. (cf. étalons corporels, puis naturels -conventionnels selon la classe-, enfin, conventionnels "sociaux").
L'association découle de l'étape d'observation. Elle permet l'élaboration d'idées générales grâce à l'étude et la comparaison des objets à travers le temps et l'espace. La notion apprise d'abord par l'expérience personnelle et directe de l'enfant est poursuivie par l'association avec les souvenirs, les références à des sources extérieures aussi bien en relation avec des éléments historiques que géographiques.
L'expression traduit les idées induites par les associations de façon concrète (modelage, dessin, menuiserie, couture...) ou abstraite (lecture, expression orale, écriture, théâtre...). Pour Decroly, toute connaissance passe par la nécessaire reformulation personnelle des connaissances.
Toute expression est une création. L'expression est une activité qui contient toutes les activités issues de l'observation et de l'association et où viennent s'intégrer et aboutir les connaissances. C'est à travers l'expression que l'enseignant peut réellement mesurer le degré et la qualité des acquisitions des enfants.
Selon Decroly, toute connaissance, toute matière doivent être abordées selon ces différentes perspectives (mais peut-être pas, au regard des apports de la psychologie cognitive, dans cet ordre-là….) de manière à en favoriser l'assimilation complète de la matière.