L'enseignement doit être en contact avec la vie
Tout enseignement devrait bouger, évoluer sans cesse, s'adapter souplement à toutes les situations nouvelles. Dans les faits, rien n'est plus difficile.
Celui que nous pratiquons se veut étroitement lié à la vie de la collectivité et aux intérêts des enfants; ainsi un contact permanent est maintenu avec la société qui nous entoure; il assure la diversité maximale des activités.
Le choix des sujets d'étude est toujours en relation avec le monde qui nous entoure et en corrélation avec toutes les facultés de l'enfant.
Nous partons du contact direct avec la matière, le concret pour atteindre les aspects plus abstraits qui, souvent, en découlent.
L'observation de la réalité reste une des principales motivations qui nous mènent à l'étude de théories plus générales.
Nous nous opposons ainsi aux courants qui appliquent à l'éducation des méthodes tirées des théories de l'information et des formalismes logiques.
De même, nous subordonnons les techniques de lecture et d'écriture à la maîtrise préalable des contenus par l'observation.
Ainsi avec les plus petits, passons-nous de l'activité sous toutes ses formes, au dessin, dont le graphisme mène à la méthode idéo-visuelle.
Simple procédé destiné à fixer une découverte, l'écriture est un relais de la mémoire; elle est un des éléments du cahier personnel de l'enfant qui note ce qui retient son intérêt ou sollicite une recherche. Le cahier rend ainsi le manuel inutile; le livre, par contre, est un des éléments de référence indispensables.
Ainsi, l'intérêt pour la vie réelle et l'actualité est suscité à tout moment; mais nous demandons aussi à nos élèves un engagement actif et personnel au sein de leur projet de classe.
Une vision multiple de la réalité est ainsi offerte à l'enfant, entraîné à porter des jugements de bonne foi et à prendre des responsabilités.
Le travail d'équipe permet à l'enfant de s'épanouir et de se former dans un climat de confiance mutuelle; en même temps, il les prépare à assumer leurs responsabilités et leurs choix d'adulte.
La ligne de conduite éducative que nous choisissons se veut la plus conforme aux principes démocratiques, mais le professeur y assume un mandat spécifique dû à sa compétence et à ses responsabilités. Cette situation est la seule féconde parce qu'elle assure la répartition des rôles sociaux dans le respect de l'égalité des personnes. Nous ne voulons pas créer un univers illusoire et trop sécurisant, qui ne donnerait à l'enfant aucune des armes nécessaires pour assurer lui-même son équilibre.
Les réflexions de société, "politiques" sont abordées dans le cadre de la "Déclaration Universelle des Droits de l'Homme", et de la "Convention internationale des droits de l'enfant " qui nous garantit un climat chaleureux, non concurrentiel, pleinement solidaire.
Le but essentiel de nos méthodes actives n'est donc pas l'acquisition de connaissances plus ou moins encyclopédiques. Nous visons plutôt à éveiller l'intérêt des enfants, à développer leurs potentialités de raisonnement. Celui-ci est soutenu par des acquisitions de notions et techniques. Nous cherchons ainsi développer au maximum toutes leurs facultés intellectuelles, physiques, créatives et sociales de chaque enfant.
Nous nous efforçons aussi d'aider chaque enfant à acquérir une méthode de travail, à l’habituer à réfléchir et à s'exprimer.
C'est pourquoi, nous partons de l'activité; l'enfant est constamment incité à participer, dans la mesure de ses possibilités, au travail commun de recherche et d'action, de réflexion et de mise au point; à concevoir et à réaliser des travaux personnels, à approfondir par lui-même les domaines qui l'intéressent particulièrement, documents en mains; à répondre à des questions faisant appel à d'autres qualités intellectuelles que la mémoire seule.
Certes la mémoire est à entraîner, mais nous cherchons à éviter l’écueil d'acquisitions condamnées à être fugitives, parce que mémorisées sans réflexion, ce qui n'est que l'illusion du savoir.
La connaissance des autres
Il paraît important à une époque où toutes les valeurs s'affrontent, que l'école soit un lieu de rencontre où enfants et adultes aient le désir de se connaître et apprennent à se respecter. Le principe de la liberté de chacun doit être constamment pensé et rappelé.
En effet, l'enfant, personnalité en formation, face aux opinions de ceux qu'il côtoie, trouvera plus justement sa voie dans la confrontation de différents types de pensée.
L'école se veut ouverte: chacun devra s'y sentir libre de penser, choisir, de discuter, de défendre ses opinions, dans un esprit de tolérance et de compréhension réciproques. Ceci n'est possible que dans un climat de bonne volonté, de sincérité, de bonne foi, excluant les aspects concurrentiels de la "course aux points" ou du classement hiérarchisé.
Diverses tensions se produiront nécessairement dans un groupe.
Nous les rencontrons avec franchise, en assurant le maximum d'échanges en enfants et adultes, en instituant des débats au cœur des classes.
L'évolution sociale de chaque enfant fait l'objet d'un examen régulier avec l'enfant, le professeur et le groupe.
Les responsabilités
L'un des buts éducatifs poursuivis par l'école est le développement du sentiment de la responsabilité.
Cet objectif implique:
- La perception par chacun de son utilité sociale
- La formation active aux responsabilités au sein du groupe, compte tenu des aptitudes liées à l'âge et au développement de la personnalité, par la prise en charge de fonctions de plus en plus importantes.
La notion de responsabilité implique avant tout le fait d'avoir à répondre de la manière dont une fonction sociale a été assumée. Le pouvoir attaché à cette fonction n'est rien d'autre qu'un moyen pratique permettant de l'accomplir.
La rotation des fonctions permet à chacun de se découvrir dans tous les aspects de sa personnalité.
La discipline
La notion de discipline découle de la vie en commun, d’une part, de l’autonomie personnelle d’autre part.
En effet, « la liberté de chacun s’arrête où commence celle d’autrui » ; mais toute la difficulté réside dans la délimitation de cette restriction.
De plus, la liberté personnelle, dans le cadre d’une institution scolaire, s’arrête aussi là où commence l’autodestruction physique, morale ou intellectuelle.
Dès lors, les règles doivent entrer en jeu. Il est souhaitable que ces règles soient établies par ceux qui doivent les respecter et le faire respecter. La base de leur élaboration doit être le bon fonctionnement de notre collectivité.
Il est essentiel aussi de tenir compte des objectifs pédagogiques qui constituent la finalité de l’école, et de veiller à ce qu’en aucun cas, les normes de discipline ne freinent le progrès.
Il s’agit de trouver un équilibre délicat entre les tendances des enfants et les exigences de la formation.
Les règles sont toujours diversement ressenties et ne reflètent qu’un consensus toujours temporaire, mais elles témoignent d’un souci constant : celui d’assurer le bon fonctionnement de la collectivité.
Il faut donc que leur utilité soit bien comprise. Les règles que l’on sait d’avance devoir être enfreintes est non seulement inutiles, mais néfastes, car elles donnent l’habitude de l’infraction.
Nous tenons à inscrire parmi ces normes, le respect des biens de la collectivité et la prise en considération d’aspects matériels dont tous les membres doivent être conscients et ce, dès le plus jeune âge.
La liberté accordée à chacun dans l’école permet d’apprécier la manière dont l’enfant applique consciemment ces règles.
Pour ceux qui n’acquièrent que lentement leur auto-discipline, le problème de la sanction peut se poser. Certains enfants sont enclins à la provocation, soir pour tester leur entourage, soir par souci d’originalité. Il est donc nécessaire de prévoir des mesures adaptées à chaque cas, mesures qui visent à obtenir une prise de conscience effective de la nécessité de règles. Une infraction entraîne donc une réparation appropriée à la nature du dommage causé, réparation décidée de commun accord entre les 2 parties. Cette réparation se fonde sur l’entraide et la solidarité.
Nous attachons la plus grande importance à cette formation sociale.
Ceux qui, malgré les efforts de leur groupe, ne parviennent pas à le comprendre peuvent se voir exclus momentanément ou définitivement de l’école, parce qu’ils découragent ceux de leurs camarades qui attachent autant d’importance à l’éducation des qualités humaines qu’à l’instruction.
Situons rapidement la personnalité qui est à la base de cette méthode Ovide Decroly.
Decroly naît à Renaix en 1871. Après une formation médicale à l'Université de Gand, suivie de séjours d'étude à Berlin et à Paris, il s'intéresse au traitement des maladies du système nerveux. Il se consacre en Belgique à l'enfance anormale.
Très rapidement, il est convaincu du peu d'efficacité des méthodes d'enseignement en usage à l'époque.
Sa première publication l'atteste, elle a pour titre: "Notre régime scolaire préparerait-il des anormaux ? "
Déjà dans cet article paru en 1905, il ébauche quelques caractéristiques de ses principes pédagogiques:
- le recours aux méthodes actives
- l'ouverture de l'école vers la société
- l'emploi de jeux éducatifs
- la formation des instituteurs à l’université pour s'en tenir à quelques grands principes de base.
Cette orientation polarise son intérêt vers l'éducation.
En 1901, il se décide à installer l'Ecole Nouvelle dans sa propre maison.
Il vit alors en contact direct avec des enfants retardés ou irréguliers, met au point sa pédagogie active qui s'avéra être le germe d'une révolution de l'enseignement.
L'institut se double en effet d'un laboratoire de psychologie qui soumettait aux plus rigoureuses exigences scientifiques les observations du Docteur Decroly et de ses collaborateurs.
La richesse des informations recueillies le pousse en 1907 à fonder un établissement pour enfants normaux: l'école de l'Ermitage.
Dès lors, ces 2 écoles - l'Institut et l'école de l'Ermitage deviennent pour Decroly une source constante de recherches et de publications qui l'amènent à participer activement à la vie scientifique internationale. Il devint professeur à l'Université libre de Bruxelles.
Nous pouvons donc le situer parmi les éducateurs contemporains avec Montessori, Claparède, Freinet parmi les novateurs de l'Ecole Nouvelle, en notant que la triple qualité, d'éducateur, de psychologue et de médecin donne aux travaux de Decroly un prix spécial.